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NOTICE

Quant au barde Gwiklan, qui vivait en 450, Rostrenen et le vénérable Dom Le Pelletier lisaient ses vers, au siècle dernier, dans l’abbaye de Lan-dévennek. Les titres ne sont donc pas contestables : on les retrouverait d’ailleurs, au-delà du détroit, dans une littérature jumelle ; et dans les deux pays la langue est vivante. Depuis longtemps travaillée en Galles, elle vient enfin de recevoir en Bretagne sa forme scientifique des veilles de Le Gonidec.

Tâchons d’exposer dans toute sa simplicité cette vie studieuse et peu connut, mais glorieusement liée désormais à l’histoire des idiomes celtiques.

Jean-François-Marie-Maurice-Agathe Le Gonidec naquit au Conquet, petit port de mer situé à la pointe occidentale de la Bretagne, le 4 septembre de l’année 1775. Sa mère, Anne-Françoise Pohon, appartenait à une famille de cette ville, où son père, d’ancienne maison, mais sans fortune, occupait un emploi des fermes. Dans le voisinage du Conquet, demeuraient, au château de Ker-Iann-Môl, M. et Mme de Ker-Sauzon, qui, s’intéressant aux époux Le Gonidec, tinrent leur fils sur les fonts de baptême. Ce fut un grand bonheur pour l’enfant. À l’âge de trois ans, privé de sa mère, puis abandonné de son père, homme bizarre et dur qui délaissait ainsi tous les siens, il fut généreusement recueilli par ses parents selon Dieu. Telle fut la tendresse des père et mère adoptifs, telle l’indifférence du père naturel que, jusqu’à sa douzième année, le pauvre orphelin ne se douta point de son sort. Le secret dévoilé, il tomba malade, et faillit mourir de douleur.

Dans ce temps, l’abbé Le Gonidec (celui qui refusa sous la restauration l’évêché de Saint-Brieuc) était grand chantre de Tréguier ; dans cette ville était aussi un collège dont l’enseignement avait de la réputation : cette double circonstance dut décider à y envoyer l’enfant. Ses études furent parfaites. Dès le début, soit commencement de vocation, soit influence de son parent l’ecclésiastique, il avait lui-même revêtu la soutane. Le jeune abbé Le Gonidec, ce fut ainsi qu’on le nomma dans le monde, laissait voir beaucoup d’esprit et d’imagination, et un vif attrait pour les lettres. Aussi, durant ses vacances au château de Ker-Lann-Môl, tous les manoirs d’alentour lui étaient ouverts. Ses parents adoptifs pouvaient se féliciter.

Voici une occasion plus grande de payer sa dette. Vers la fin de 1791, M. de Ker-Sauzon émigré. Aussitôt le jeune abbé, qui achevait ses études, vient s’établir à Ker-Iann, et là se fait le précepteur du fils et des neveux de son généreux parrain. Mais les biens sont mis sous le séquestre ; toute la famille doit se retirer à la ville ; Le Gonidec est lui-même forcé de chercher une demeure plus sûre.

En 93, nous le trouvons dans les rues de Brest, entouré de soldats et des hideux témoins de ces têtes de sang, qui marche à l’échafaud. Il n’avait pas encore dix-huit ans. Arrivé au pied de la machine, il voyait briller le couteau, quand des amis ou n’a jamais su leurs noms) entrent tout armés sur la place, renversent les soldats, et d’un coup de main délivrent le prisonnier. Le Gonidec fuyait au hasard par les rues de Brest ; une porte est ouverte ; il y entre : c’était la maison d’un terroriste. « Ah ! monsieur, crie une femme, quel bonheur que mon mari soit absent ! mais sortez, sortez vite, ou vous êtes perdu ! — Et perdu, madame, si je sors : pour un instant, de grâce, cachez-moi ! » La pauvre femme tremblait à la fois de peur et de pitié. Enfin la nuit vint, le proscrit put franchir les portes de la ville, d’où gagnant à travers champs un petit port de Léon, il passa eu peu de jours dans la Cornouailles insulaire.

Dans le calme de la vie scientifique, où nous recherchâmes M. Le Gonidec, plus d’une fois nous l’avons entendu raconter les détails de cet événement terrible. Au sortir de Ker-Jean, il lui fut difficile de rester paisible et ignoré dans sa nouvelle retraite. La Bretagne fermentait. Les paysans, jugeant mal alors la cause générale