Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/33

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Hamlet s’éloigne, dûment soulagé. « C’est encore pour me faire la main que j’ai tué cet oiseau », pense-t-il.

Jeune et infortuné prince ! Ces étranges impulsions destructives le prennent souvent à la gorge, depuis le trop, trop irrégulier décès de son père.

Un jour, Hamlet était parti de grand matin pour la chasse. La préméditation, cette fois, l’avait tenu éveillé toute la nuit (la nuit qui porte conseil). Armé d’on ne peut plus excellentes épingles, il préluda par embrocher les scarabées que la Providence mettait sur son chemin, les laissant ensuite continuer le leur ainsi. Il arracha leurs ailes aux papillons futiles, décapita les limaces, trancha les pattes de derrière aux crapauds et grenouilles, poivra de salpêtre une fourmilière et y mit le feu, recueillit maints nids gazouilleurs dans les buissons et les abandonna au fil de la rivière prochaine pour leur faire voir du pays ; tout cela en cinglant à droite à gauche mille fleurs, sans égards pour leurs vertus pharmaceutiques. Et puis, en chasse ! La forêt, de ses mille rumeurs printanières, le ravissait, telle l’eût ravi une chambre de torture de ses mille grésillements sur les réchauds ! Et finalement, le soir, après une vaine sieste plus loin sous les arbres qui n’avaient rien vu, en revenant sur ses pas, un dernier spasme le poussa à prélever sur les victimes qui n’avaient pu s’aller cacher pour mourir, et qu’il retrouvait en son chemin, une livre d’yeux crevés : il s’en y lava les mains, il s’en graissa les phalanges, il faisait craquer ses phalanges, déjà tout tiraillé de malaise. Ah ! c’était Le Démon de la Réalité ! l’allégresse de constater que la Justice n’est qu’un