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CICÉRON.

Mais il ne partait toujours pas, retenu par cette hésitation mortelle entre la honte de ne pas suivre son parti naturel, et le crime d’aller rapporter la guerre à son pays.

« Pour me distraire de la maladie de mes pensées, écrit-il a son confident et son ami Atticus, je me pose ces questions terribles, et je m’exerce à les résoudre, parce que de leur solution dépendra le parti que je prendrai : — Est-il convenable à un citoyen vertueux de rester dans son pays quand il est tombé sous la puissance d’un tyran ? — Doit-on employer tous les moyens de soustraire son pays à la tyrannie, lors même que ces moyens de délivrance exposeraient la patrie à sa dernière ruine ? — Ne doit-on pas se prémunir contre le danger d’élever trop haut et de changer en oppresseur le chef qu’on oppose au tyran de son pays ? — Ne vaut-il pas mieux chercher le salut de son pays dans les concessions et les accommodements pacifiques que dans les armes ? — Est-il permis à un bon citoyen de se retirer à l’écart pendant les agitations de son pays ? — Peut-on en conscience incendier et assiéger sa patrie pour la délivrer du tyran ? — Dans les dissensions civiles, est-on tenu de suivre la cause et la fortune de son parti, lors même que ce parti commet des fautes et des crimes ? — Enfin un homme qui a subi l’envie, l’iniquité, l’ingratitude et les persécutions pour avoir une première fois sauvé son pays, doit-il s’exposer volontairement une seconde fois aux mêmes malheurs ? — Ou bien, après avoir tout fait en vain pour sa patrie, ne lui est-il pas permis de se désintéresser de la chose publique par ceux qui gouvernent, et de songer à lui-même, à sa famille et à son repos ? »

Pendant que Cicéron se posait ces questions, dont on voit assez clairement la solution secrète dans son âme par l’art avec lequel il incline l’esprit de son ami à les résoudre dans le sens de la neutralité, César et ses amis de Rome le suppliaient de rester neutre, et il s’excusait auprès de Pompée de ne l’avoir pas encore rejoint sur l’impossibilité de traverser une partie de l’Italie déjà inondée des troupes de César. Enfin, Pompée ayant appelé et rassemblé à Brindes