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CICÉRON.

toutes ses légions et tous les républicains austères, tels que Cassius, Brutus, Labiénus, Caton, fit voile, à l’approche de César, pour la côte d’Épire, emmenant avec lui tout ce qui dans Rome était digne du nom de Romain. Cicéron se trouva par ce fait, qu’il avait tant blâmé et qu’il répugnait tant à imiter, soulagé par l’événement du poids de ses incertitudes.

L’Italie entière, aussitôt après le départ de Pompée, se précipita aux pieds du vainqueur. Rome ne se respectait plus elle-même, et n’était plus digne que d’un maître. Cette abjection de sa patrie releva l’âme de Cicéron par l’indignation et par la honte. La victoire de César, au lieu de l’en rapprocher, l’en éloigna. Le succès, qui est la raison du vulgaire, est le scandale des grandes âmes. Il se renferme à Arpinum, séjour de ses pères, comme pour y chercher les souvenirs et les conseils de la vertu antique, et pour y porter dans la solitude le deuil de son pays.

« Jusqu’à présent, écrit-il à ses amis, je n’étais que triste et perplexe. La fluctuation et l’incertitude des choses soulevaient mon âme et l’empêchaient de sentir la chute de ma patrie ; mais depuis que Pompée, les consuls, la république elle-même, ont quitté l’Italie, ce n’est plus de la douleur, c’est le supplice qui déchire mon âme. Il me semble que j’ai perdu non-seulement la patrie, mais l’honneur. Ah ! pourquoi ne suis-je pas avec Pompée et avec tous les bons citoyens de mon parti, puisque ceux-là mêmes en considération de qui je répugnais de partir, mes amis, mes proches, ma femme, mon fils, ma fille elle-même ! trouvaient que ma place était avec les derniers soutiens de la liberté de Rome ?… J’ai été trompé par deux pensées honnêtes, mais aveugles : premièrement, par l’espoir obstiné de négocier la paix entre ces deux hommes ; secondement, par l’horreur de susciter la guerre civile entre citoyens !… Maintenant je vois qu’il valait mille fois mieux mourir que de vivre avec les oppresseurs de mon pays ! »

Cependant César lui demandait une entrevue, et lui écri-