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CICÉRON.

mais je dois songer à la patrie, et la patrie cependant n’est pas un homme !… N’ai-je pas de grands exemples pour ne pas abandonner la patrie, même assujettie à un tyran ? Socrate l’abandonna-t-il pendant qu’Athènes gémissait sous les trente tyrans ?… Je vous ai dit, en effet, que j’aimais mieux être vaincu avec Pompée que vainqueur avec César. Oui, mais avec Pompée digne de lui-même et semblable à lui-même ; mais avec Pompée fuyant avant de savoir même qu’il fuit et sans savoir où il fuit ! avec Pompée livrant sans combat la patrie, nos enfants, nos femmes, nos biens, nos lois, nos vies à la tyrannie !… la supposition que je faisais est déjà réalisée ! C’en est fait, si je suis vaincu avec cet homme et par cet homme ! Souvenez-vous que j’ai toujours été d’avis, d’abord qu’il fallait à tout prix éviter le choc et la guerre entre ces deux chefs de parti, ensuite qu’il ne fallait à aucun prix abandonner, non pas l’Italie seulement, mais Rome elle-même !… Je porte le deuil de la république !… Voyez à quel homme nous avons affaire dans ce César ! quelle perspicacité ! quelle promptitude ! quelle vigilance ! quel œil à tout ! S’il ne se permet ni meurtre, ni vengeance, ni prescription, il va être tout à l’heure l’idole de ces mêmes Romains dont il était hier l’effroi… J’entends causer autour de moi une multitude de citoyens des villes et des paysans des campagnes ; ils ne pensent déjà plus qu’à leurs champs, qu’à leurs maisons rustiques, qu’à leurs petits écus ! Voyez un peu la versatilité des âmes ! ils redoutent maintenant ce Pompée, qui était hier leur idole et leur appui ; ils commencent à adorer ce César, qu’ils redoutaient hier comme leur fléau. »

Puis, s’emportant de vertueuse indignation contre ce même César, dont il vient tout à l’heure d’admirer le génie :

« Ô le misérable ! s’écrie-t-il ; ô le voleur de lois ! ô le brigand ! ô le dévastateur de sa patrie ! Et cependant tout le monde part autour de moi pour rejoindre Pompée : aujourd’hui celui-ci, demain celui-là ! Et j’apprends que les bons et grands citoyens qui ont été l’honneur et l’appui de Rome me blâment de ces lamenta lions, d’hésiter encore à partir !… Eh bien, partons donc ; et, pour prouver que je suis un bon et grand citoyen, allons aussi rapporter par terre et par mer la guerre civile il notre infortunée patrie !… »