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CICÉRON.

par une obstination qu’il jugea apparemment sans espoir. Il resta un moment, disent les témoins oculaires, semblable à un homme foudroyé ; puis, sans dire un mot à ceux qui l’entouraient, et la tête baissée, il reprit au petit pas de son cheval la route de son camp, rentra dans sa tente, se fit dépouiller de ses armes et de ses insignes de commandant, et, revêtant des habits de deuil d’apparence vulgaire, il se déroba à son camp et prit presque seul et à pied les sentiers qui conduisent du fond de la Thessalie au bord de la mer. Accablé de fatigue et de soif, il se coucha à terre pour boire au courant de l’onde dans la rivière qui traverse le vallon de Tempé. Parvenu au bord de la mer, une cabane isolée de pêcheur servit d’abri pendant la nuit à celui qui avait conquis depuis quarante ans tant de villes de la Grèce, de l’Asie, de l’Afrique, de l’Espagne, et qui personnifiait quelques heures auparavant, non-seulement la république et Rome, mais l’univers. Il ne gémit point en homme inégal à la grandeur de son infortune, et n’accusa point les dieux. Il accepta le jugement du sort, pensant sans doute qu’il était assez beau de succomber avec les lois et la liberté de Rome. Il renvoya à César tous ceux de sa suite de condition servile qui n’étaient pas assez engagés dans sa querelle pour ne pas obtenir un facile pardon du vainqueur ; il ne garda avec lui que les citoyens libres, et, s’étant embarqué dans la petite barque du pêcheur, il côtoya la plage, cherchant des yeux quelque navire sur la mer pour demander asile aux flots.

Au même moment, le pilote d’un navire qui trafiquait sur cette côte, oisif au milieu du jour sur le pont de son bâtiment, racontait à ses matelots un songe étrange de sa nuit. Bien qu’il n’eût jamais vu le grand Pompée, ce pilote avait cru le voir pendant son sommeil, non dans le costume splendide et majestueux sous lequel il se représentait un si auguste citoyen, mais sous des habits vulgaires, souillés