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CICÉRON.

aimé, la belle Cornélie, fille de Scipion, veuve de Crassus, femme aussi illustre par sa beauté, par son génie, par ses vertus, que par son amour pour Pompée. Cornélie était poëte, musicienne, lettrée, philosophe, et par-dessus tout Romaine. Ses vertus égalaient ses charmes, et la solidité de son jugement faisait oublier sa jeunesse. Pompée, qui l’adorait comme sa fille autant que comme son épouse, l’avait déposée, en passant en Épire, dans l’île de Mitylène, pour qu’elle y fût à l’abri des insultes de César, et rapprochée de la scène de la guerre sans en courir les fatigues et les dangers. Ce qu’il y avait de plus cruel dans son infortune en ce moment n’était pas tant d’avouer sa défaite au monde que de l’apprendre à Cornélie.

En jetant l’ancre la nuit dans la rade de Lesbos, il n’osa pas descendre lui-même èt terre et apparaître dans son abjection aux yeux de sa femme et de son fils. Un de ses compagnons de fuite descendit seul sur la plage, et se faisant conduire à la maison de Cornélie, qui, sur la foi d’une fausse rumeur de mer, croyait à une grande victoire de son mari, l’envoyé, forcé de changer une telle illusion en deuil, s’inclina muet devant elle, et ne lui apprit presque que par ses larmes que le maître d’une armée et d’une flotte de quinze cents voiles quelques jours auparavant attendait, pour fuir, sa femme et son fils dans le port de Mitylène, sur un navire où la pitié d’un pauvre pilote lui avait donné le passage et l’hospitalité.

Cornélie, évanouie d’horreur et de tendresse à une telle nouvelle, se releva enfin de terre, et, courant les bras tendus vers le rivage, elle tomba sur le sein de son mari, qui était descendu pour la recevoir. « Hélas ! lui dit-elle a travers ses sanglots et en prenant sur elle seule, avec une admirable ruse de tendresse, tout le malheur et tout le tort de l’adversité de son mari ; hélas ! que l’état où je te revois est bien l’ouvrage de ma fortune et non de la tienne ! Te