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CICÉRON.

Pressé par l’adulation ou par la peur, il avait couru en Afrique avec son fils, neveu de Cicéron, pour implorer les faveurs de César, et pour rejeter lâchement sur son frère le tort qu’il avait eu de suivre le parti de Pompée. César s’était indigné de cette bassesse ; il avait écrit à Cicéron pour l’en informer. Celui-ci, avec une générosité fraternelle, avait répondu à César en prenant tout le crime sur lui seul, et en suppliant le dictateur de pardonner à l’égarement de Quintus.

D’un autre côté, sa fortune, déjà embarrassée à son départ d’Italie, avait achevé de s’obérer jusqu’à l’indigence, par les déprédations de sa femme, par l’absence et par l’épuisement de produits des terres dont tant de guerres civiles et de spoliations successives affligeaient l’Italie. Il ne vivait que d’emprunts et des secours de ses amis, principalement d’Atticus. Antoine, lieutenant de César à Rome, venait de publier un édit de proscription hors de l’Italie contre tous ceux qui avaient suivi Pompée, mais en exceptant Cicéron. Cette exception, qui lui rouvrait Rome, le réjouissait d’un côté et l’humiliait de l’autre ; car les partisans de Pompée vaincus à Pharsale, Caton, Brutus et les autres, étaient allés ranimer la résistance à la tyrannie en Afrique : la renommée grossissait leurs forces, ils menaçaient de prévenir le retour de César en Italie et de restaurer la république. Les succès de sa propre cause, après qu’il l’avait crue morte, troublaient maintenant Cicéron ; car les républicains vainqueurs pouvaient le traiter maintenant comme un transfuge, pendant que les courtisans de César voyaient en lui un républicain ; en sorte que, par l’hésitation de son caractère et par la précipitation alternative de ses soumissions, l’une et l’autre cause le désavouaient ou le menaçaient des mêmes vengeances, tout au moins du mépris. Déplorable situation d’un grand esprit, qui, au lieu de prendre base sur la conscience, prend base sur la