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CICÉRON.

fortune, et tombe sans gloire, parce qu’il a choisi sans vertu.

Éprouvant déjà, à Brindes, le remords de cette situation ambiguë devant l’opinion qui se déchaînait contre lui, il n’osait pas où il ne savait pas se justifier lui-même, et il conjurait son ancien ami Atticus d’écrire sa justification ou son excuse pour lui ramener quelques amis.

Enfin il s’approcha de Rome avec sa fille, mais sans oser y entrer. Puis il alla au-devant de César, qui venait de débarquer vainqueur à Tarente, et qui revenait triompher à Rome. Cet orateur, qui n’avait pas pâli devant les sicaires de Catilina, tremblait maintenant devant un pli du front ou des lèvres sur le visage d’un maître. Ses lettres, à cette époque de sa vie, sont le frisson d’une âme servile. « Comment me recevra-t-il ? Comment me regardera-t-il ? Que va-t-il me dire ? ou que voudra-t-il écouter ? » Un peuple dont les plus vertueux citoyens éprouvent et écrivent de pareilles angoisses est mûr pour les tyrans. César cependant trompe Cicéron par son abord. Les tyrans sont aussi heureux de rencontrer des âmes soumises, que les âmes soumises sont empressées de se résigner aux tyrans. Du plus loin que César aperçut Cicéron sur la route de Tarente à Rome, il descendit de son cheval, courut a lui les bras ouverts, l’embrassa comme un ami perdu et retrouvé, ne lui fit aucun reproche, et, l’entraînant en avant et à l’écart de sa suite, pour épargner la pudeur de Cicéron et pour lui témoigner sa confiance, il s’entretint longtemps et familièrement avec lui aux yeux de toute son armée. On ignore ce que ces deux adversaires réconciliés se dirent : l’un sans doute s’excusant sur la bassesse humaine de la tyrannie qu’il venait recevoir, l’autre sur la fortune de l’obéissance qu’il venait offrir. Cependant, si l’on en croit une phrase de Cicéron après cet entretien, dans sa correspondance avec Atticus, la résignation ne fut pas sans grandeur et sans dignité dans sa bouche, « car, dit-il, il ne