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CICÉRON.

de le croire. Sa passion pour le rétablissement du gouvernement libre, son amitié pour Brutus, sa juste haine et sa terreur trop fondée d’Antoine, ne lui laissaient d’autre levier que ce jeune homme pour soulever Rome contre ce vil tyran qui avait hérité du despotisme de César, sans hériter de sa douceur, de sa grâce et de son génie. Il se lia donc, pour le salut de la république, avec Octave, et se déclara ouvertement son patron. Dès qu’on sut que Cicéron adoptait la cause du jeune César, celle d’Antoine fut perdue dans l’opinion de l’Italie. L’autorité morale de ce grand homme contre-balançait une armée.

Antoine, abandonné des légions voisines de Rome, s’éloigna, la rage dans le cœur, pour aller en chercher d’autres vers les Alpes. Octave marcha contre lui au nom du sénat avec les consuls, et le défit auprès de Modène. Antoine vaincu, mais retrouvant dans la défaite l’énergie du désespoir, franchit les Alpes avec une légion de ses soldats, caressa son rival Lépide, qui commandait une autre armée romaine dans les Gaules, et redescendit en Italie avec cent mille hommes, pour la disputer à Octave. Le sort du monde resta en suspens pendant quelques mois.

Cicéron, rentré dans Rome, y soufflait le feu sacré de la liberté dans douze harangues immortelles, au sénat et au peuple, contre Antoine ; harangues qu’on appela les Philippiques, par allusion aux harangues d’un autre orateur, Démosthène, contre Philippe, roi de Macédoine, qui menaçait la liberté d’Athènes comme Antoine menaçait celle des Romains.

Ces douze harangues de Cicéron, fruits de son génie mûri par les années, de son patriotisme humilié par la servitude, de sa colère attisée par la terreur et comme par le pressentiment des crimes d’Antoine et de sa femme Fulvie, plus scélérate encore que son mari, enfin par ce désespoir de la vertu qui, n’ayant plus rien à ménager pour sauver