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CICÉRON.

tement ensemble vers Rome. On n’ébruita que les noms de dix-sept grands proscrits dont les têtes devaient orner leur triomphe sur la république. Cicéron était encore le premier ; il apprit son arrêt sans oser y croire. Octave commencerait-il par un parricide ? N’était-il pas son second père ? Il espérait, contre toute espérance, en lui ; mais il craignait tout d’Antoine, et surtout de Fulvie, sa nouvelle épouse. Les hommes pardonnent ; les femmes se vengent, parce qu’elles ont moins de force contre leur passion.

Dans cette perplexité, Cicéron avait le temps de fuir, et peut-être était-ce la pensée d’Octave ? L’hésitation, cette faiblesse des grands esprits, parce qu’ils pèsent plus d’idées contre plus d’idées que les autres, fut la cause de sa mort, comme elle avait été le fléau de sa vie. Il perdit les jours et les heures à débattre avec lui-même et avec ses amis lequel était préférable, à son âge, de tendre stoïquement le cou aux égorgeurs, et de mourir en laissant crier son sang contre la tyrannie sur la terre libre de sa patrie, ou d’aller mendier en Asie le pain et la vie de l’exil parmi les ennemis des Romains ? Son âme parut se décider et se repentir tour à tour de l’un ou de l’autre parti. Ses pas errèrent, comme ses pensées, du rivage de la mer à ses maisons de campagne et de ses maisons de campagne aux bords de la mer.

Enfin il voulut éloigner le moment de la résolution suprême en s’éloignant de Tusculum, trop voisin de Rome. Il quitta ce séjour avec son frère Quintus Cicéron, et avec son neveu, qui le chérissait comme un père. Il se retira dans sa maison plus reculée d’Astura, séjour de deuil où il avait, comme on l’a vu, nourri la mélancolie de la mort de sa fille Tullia. L’âpreté du lieu et la profondeur des bois semblaient l’abriter de la scélératesse des hommes ;

Cette maison était sur le bord de la merde Naples. Il y passa quelques jours à écouter au loin le bruit des pas de l’armée des triumvirs qui s’approchaient de Rome ; il sem-