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CICÉRON.

blait résolu a y attendre la mort, sans se donner la peine ni de la fuir plus loin, ni de la braver de plus près. Cependant son frère, son neveu, ses à franchis, ses esclaves, espèce de seconde famille que la reconnaissance, les lois et les mœurs attachaient jusqu’au trépas aux anciens, lui représentèrent qu’un homme tel que Cicéron n’était jamais vieux tant que son génie pouvait conseiller, illustrer ou réveiller sa patrie ; que Caton, en mourant, avait éteint prématurément lui-même une des dernières espérances de la république par une impatience ou par une lassitude de vertu ; que, s’il était résolu a mourir, il ne fallait pas du moins que sa mort fût inutile à la cause des bons citoyens, qui était celle des dieux ; que, Brutus et Cassius vivant encore et rassemblant en Afrique des légions fidèles à la mémoire de Pompée et à la république, prêtes à combattre les armées vénales des triumvirs, il devait aller rejoindre ces derniers des Romains, raviver par sa présence et par sa voix une cause qui n’était pas encore désespérée tant qu’il lui restait Cicéron et Brutus ; ou, s’il fallait périr, périr du moins avec la justice, la vertu et la liberté.

Ces conseils prévalurent un moment dans son âme. Il quitta sa retraite d’Astura avec son frère et le cortége de ses esclaves et de ses familiers, pour se rapprocher de la mer et pour y monter sur une galère qu’on lui avait préparée. Mais la précipitation avec laquelle il avait quitté Rome et Tusculum aux premières rumeurs de sa proscription ne lui avait pas permis d’emporter l’or ou l’argent nécessaire pour une longue expatriation. À peine était-il sur la route qu’il réfléchit à l’indigence à laquelle il allait être exposé avec sa famille et ses amis pendant son exil. Il fit arrêter sa litière (fort brancard fermé par des rideaux et porté par des esclaves qui servait de voitures aux riches Romains), et il fit approcher celle de son frère Quintus, qui marchait derrière lui.