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HOMÈRE.

génération a l’origine de ces traditions de famille ou de race qui se grossissent de quelques fables dans leur cours, on ressemble a un homme qui remonte le cours d’un fleuve inconnu : on finit par arriver à une source petite sans doute, mais à la source d’une vérité !

Disons donc ce qu’ont dit les Grecs contemporains et postérité d’Homère sur le génie le plus antique et le plus national de leur race.

Il y avait dans la ville de Magnésie, colonie grecque de l’Asie Mineure, séparée de Smyrne par une chaîne de montagnes, un homme originaire de Thessalie, nommé Mélanopus. Il était pauvre, comme le sont en général ces hommes errants qui s’exilent de leur pays, où ne les retiennent ni maison ni champs paternels. Il se transporta donc de Magnésie dans une autre ville neuve et peu éloignée de Magnésie, où cette vallée, déjà trop peuplée, jetait ses essaims. Cette ville s’appelait Cymé. Mélanopus s’y maria avec une jeune Grecque aussi pauvre que lui, fille d’un de ses compatriotes, nommé Omyrethès. Il en eut une fille unique, à laquelle il donna le nom de Crithéis ; il perdit bientôt sa femme ; et, se sentant lui-même mourir, il légua sa fille, encore enfant, à un de ses amis qui était d’Argos, et qui portait le nom de Cléanax.

La beauté de Crithéis porta malheur à l’orpheline, et porta bonheur à la Grèce et au monde. Il semble que le plus merveilleux des hommes fût prédestiné a ne pas connaître son père, comme si la Providence avait voulu jeter un mystère sur sa naissance, afin d’accroître le prestige autour de son berceau.

Crithéis inspira l’amour à un inconnu, se laissa surprendre ou séduire. Sa faute ayant éclaté aux yeux de la famille de Cléanax, cette famille craignit d’être déshonorée par la présence d’un enfant illégitime à son foyer. On cacha la faiblesse de Crithéis, et on l’envoya dans une autre