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HOMÈRE.

colonie grecque qui se peuplait en ce temps-là au fond du golfe d’Hermus, et qui s’appelait Smyrne.

Crithéis, portant dans ses flancs celui qui couvrait son front de honte, et qui devait un jour couvrir son nom de célébrité, reçut asile à Smyrne chez un parent de Cléanax, né en Béotie, et transplanté dans la nouvelle colonie grecque ; il se nommait Isménias. On ignore si cet homme connaissait ou ignorait l’état de Crithéis, qui passait sans doute pour veuve, ou pour mariée à Cymé.

Quoi qu’il en soit, l’orpheline ayant un jour accompagné les femmes et les filles de Smyrne au bord du petit fleuve Mélès, où l’on célébrait en plein champ une fête en l’honneur des dieux, fut surprise par les douleurs de l’enfantement. Son enfant vint au monde au milieu d’une procession à la gloire des divinités dont il devait répandre le culte, au chant des hymnes, sous un platane, sur l’herbe, au bord du ruisseau.

Les compagnes de Crithéis ramenèrent la jeune fille et rapportèrent l’enfant nu, dans leurs bras, à Smyrne, dans la maison d’Isménias. C’est de ce jour que le ruisseau obscur qui serpente entre les cyprès et les joncs autour du faubourg de Smyrne a pris un nom qui l’égale aux fleuves. La gloire d’un enfant remonte, pour l’éclairer, jusqu’au brin d’herbe où il fut couché en tombant du sein de sa mère. Les traditions racontent et les anciens ont écrit qu’Orphée, le premier des poëtes grecs qui chanta en vers des hymnes aux immortels, fut déchiré en lambeaux par les femmes du mont Rhodope, irritées de ce qu’il enseignait des dieux plus grands que les leurs ; que sa tête, séparée de son corps, fut jetée par elles dans l’Hèbre, fleuve dont l’embouchure est a plus de cent lieues de Smyrne ; que le fleuve roula cette tête encore harmonieuse jusqu’à la mer ; que les vagues, à leur tour, la portèrent jusqu’à l’embouchure du Mélès ; qu’elle échoua sur l’herbe,