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CÉSAR.

se retourna contre elle. C’est la loi du talion contre les peuples libres qui veulent en même temps être des peuples conquérants : ils se blessent tôt ou tard et ils se tuent avec l’épée qu’ils ont tirée contre le monde. Le sénat et le peuple eurent à compter avec les légions et les généraux, habitués à commander chez les autres et ne sachant plus obéir aux lois dans leur patrie.

Le temps, en outre, avait développé dans l’intérieur de l’Italie et dans la constitution même de la république des dissensions organiques et des questions sociales qui ne pouvaient se trancher que par la guerre civile. C’est le jugement des causes insolubles. La plus grave de ces questions était la loi agraire.

La loi agraire, levier habituel de tous les tribuns qui voulaient soulever le peuple et la plèbe, depuis les Gracques jusqu’à Clodius, Catilina et César, n’était nullement ce rêve impraticable du partage arbitraire de la terre en portions égales, lit de Procuste où des législateurs chimériques prétendraient éternellement niveler ce que la nature tend éternellement à inégaliser selon le travail, l’épargne, le nombre et l’aptitude intellectuelle et physique de la famille. Le bon sens romain, essentiellement législatif et agricole, n’avait pas de telles aberrations du juste et du possible. La loi agraire signifiait seulement la distribution, soit gratuite aux familles de vétérans, soit par les enchères aux familles rurales, des territoires à cultiver conquis et possédés en Italie et ailleurs par l’État, et qu’on appelait l’ager publicus, les biens territoriaux de l’État. Ces territoires, non encore distribués ou vendus aux citoyens, étaient affermés à long bail par la république à des colons cultivateurs qui voulaient changer leur fermage contre un titre inaliénable de propriété.

Les patriciens opulents s’étaient abusivement emparés, à titre d’usurpation, de ces terres, qu’ils faisaient cultiver