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CÉSAR.

par des métayers, leurs sous-fermiers, ou par leurs innombrables esclaves. Ils refusaient de restituer ces biens qui ne leur appartenaient, en réalité, que par l’usage et la déshérence. Le peuple, la plèbe et les légions voulaient forcer le sénat à les exproprier avec indemnité pour donner un cours libre à cette richesse en sol usurpé ou stérile. Les tribuns, agitateurs du peuple, les démagogues, meneurs de la plèbe, les ambitieux, flatteurs de la multitude, les généraux complaisants des légions, pour s’attirer la faveur des camps, soutenaient le parti populaire contre le sénat.

Voilà toute la loi agraire. La cause était juste au fond et le résultat salutaire ; seulement la dépossession des patriciens et des riches était d’une extrême vexation. Les tribuns eux-mêmes sentaient la double difficulté de mécontenter l’aristocratie en la dépouillant, sans indemnité, d’une possession héréditaire sur laquelle mille autres possessions d’exploitation s’étaient fondées, ou d’aliéner le peuple en lui demandant de voter cette indemnité nécessaire. Les biens des proscrits des guerres civiles faisaient partie de cet ager publicus. Les distribuer ou les vendre au peuple, c’était prononcer l’éternité de la proscription et de la confiscation. On reculait devant cette irrévocabilité de l’exil et de l’indigence des proscrits d’hier, qui pourraient être les proscripteurs de demain. Cela ressemblait, sous ce rapport, à la discussion sur l’indemnité des émigrés en France a l’époque de la restauration : mesure irritante et calmante à la fois, que le gouvernement de la restauration eut l’audace d’aborder et la gloire d’accomplir sans guerre civile, et en étouffant, au contraire, un germe perpétuel de représailles. Cette loi agraire de la France agita le peuple et le sauva malgré lui, comme l’indemnité demandée au peuple romain, préalablement à la loi agraire, aurait sauvé Rome.

Une cause de dissension qui se confondait avec celle de la loi agraire était l’extension du titre de citoyen romain,