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CÉSAR.

demandée avec justice par les habitants des villes libres et refusée avec insolence ou accordée avec parcimonie par le sénat ou par le peuple.

À ces grands éléments de trouble au cœur de la république il faut ajouter la dépravation déjà monstrueuse des mœurs, l’accumulation scandaleuse des richesses dans quelques familles, telles que les Crassus ou les Lucullus, possédant des provinces entières et jusqu’à quarante mille esclaves ; l’indigence des autres, vendant tout, même leur conscience et leur suffrage, à qui voulait les acheter ; la religion, simple hypocrisie d’État, conservant au peuple des augures, des prêtres et des dieux comme des habitudes ou des spectacles pour amuser la populace ; une capitale immense, dont le trésor public nourrissait gratuitement une plèbe de quatre cent mille prolétaires, armée oisive, toujours prête aux servitudes ou aux séditions ; des corporations de trois cent mille ouvriers formant autant de factions délibérantes qu’il y avait de métiers dans Rome, ateliers nationaux en permanence où chaque parti allait recruter ses vociférateurs ou ses combattants ; des jeux publics, des théâtres, des cirques, des troupeaux de bêtes féroces, des armées de gladiateurs entretenus aux frais de l’État ou des citoyens ; le peuple dans une tumultueuse oisiveté ; des tribunes ouvertes dans tous les carrefours aux agitateurs de la ville pour les murmures, les plaintes, les calomnies ; les séditions des citoyens, de la plèbe, des affranchis et même des esclaves ; enfin des légions nombreuses de soldats ou de vétérans, véritables cités dans la cité, inféodées comme une clientèle à tel ou tel général pour les besoins de leur gloire ou de leur ambition, et venant imposer tour a tour au sénat et au peuple qui les soldaient un ordre humiliant ou des désordres sanguinaires.

Telle était la situation de la république aux temps où César grandissait pour la détruire.