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HOMÈRE.

près de la prairie où Crithéis mit au monde son enfant, comme pour venir d’elle-même transmettre son âme et son inspiration à Homère. Les rossignols, près de sa tombe, ajoutent-ils, chantent plus mélodieusement qu’ailleurs[1].

Soit qu’Isménias fût trop pauvre pour nourrir la mère et l’enfant, soit que la naissance de ce fils sans père eût jeté quelque ombre sur la réputation de Crithéis, il la congédia de son foyer. Elle chercha pour elle et pour son enfant un asile et un protecteur de porte en porte.

Il y avait en ce temps-là, à Smyrne, un homme peu riche aussi, mais bon et inspiré par le cœur, tels que le sont souvent les hommes détachés des choses périssables par l’étude des choses éternelles. Il se nommait Phémius ; il tenait une école de chant. On appelait le chant, alors, tout ce qui parle, tout ce qui exprime, tout ce qui peint a l’imagination, au cœur, aux sens, tout ce qui chante en nous, la grammaire, la lecture, l’écriture, les lettres, l’éloquence, les vers, la musique ; car ce que les anciens entendaient par musique s’appliquait a l’âme autant qu’aux oreilles. Les vers se chantaient et ne se récitaient pas. Cette musique n’était que l’art de conformer les vers à l’accent et l’accent aux vers. Voilà pourquoi on appelait l’école de Phémius une école de musique. Musique de l’âme et de l’oreille, qui s’emparait de l’homme tout entier.

Phémius avait, pour tout salaire des soins qu’il prenait de cette jeunesse, la rétribution, non en argent, mais en nature, que les parents lui donnaient pour prix de l’éducation reçue par leurs fils. Les montagnes qui encadrent le golfe d’Hermus, au fond duquel s’élève Smyrne, étaient alors, comme elles sont encore aujourd’hui, une contrée pastorale, riche en troupeaux ; les femmes filaient les laines pour faire ces tapis, industrie héréditaire de l’Ionie. Cha-

  1. M. de Marcellus, Épisodes littéraires en Orient, t. II.