Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 34.djvu/164

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
163
CÉSAR.

décise où les patriciens du sénat pouvaient voir en lui un conservateur de leurs priviléges, et où le peuple pouvait espérer dans ce jeune patricien un successeur des Gracques et un émule de Marius, un tribun de ses droits. Cette attitude équivoque, mal couverte par la réputation de débauche, de prodigalité, d’épicurisme, qu’il s’était faite dans une adolescence efféminée et licencieuse, le dérobe. quelque temps aux soupçons ombrageux de Sylla. Une circonstance domestique les fit éclater.

César avait été fiancé à seize ans par sa mère avec une opulente héritière, fille d’un simple chevalier romain, nommée Cossutia. Parvenu à l’âge viril et épris des charmes de Julie, fille de Cinna, il s’était refusé à accomplir ce mariage, et il avait épousé Julie. Cinna, qui avait été dictateur, était un nom odieux et suspect à Sylla. Tout ce qui avait tenu au parti populaire lui était ennemi ; il s’offensa de cette union d’un jeune homme, sur lequel se fondaient déjà tant d’espérances et tant de craintes, avec la fille de Cinna, ; il voulut par séduction et par menace contraindre César à répudier Julie. L’amour fut la première insurrection de l’esprit de César contre le dictateur. Il sentait la tyrannie jusque dans son cœur. Il s’indigna, il refusa obstinément de sacrifier au caprice de Sylla l’épouse qu’il adorait, il brava la prescription et la mort plutôt que de désavouer sa tendresse.

Obligé de sortir de Rome pour se dérober aux poursuites de Sylla, il se réfugia dans les montagnes de la Sabine, empruntant tantôt le toit d’un de ses amis, tantôt la métairie d’un autre, pour dépister les soldats du dictateur. Une nuit qu’il errait ainsi dans la campagne d’asile en asile et que la fièvre qui le minait énervait sa marche, il fut atteint par les soldats. Il n’évita la mort qu’en achetant, au prix de trois cent mille sesterces, le silence et la pitié du centurion qui les commandait. Sylla avait confisqué tous