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CÉSAR.

ses biens et l’avait déclaré incapable de toutes les charges. L’intervention de sa famille, de ses amis et des Vestales, solliciteuses sacrées auxquelles Sylla ne refusait rien, fléchit plus qu’elle ne convainquit le dictateur. Il avait pressenti le successeur de Marius dans ce jeune voluptueux, à la ceinture relâchée et à la robe flottante ; il se rendit à l’importunité plus qu’à la clémence. La tyrannie a des yeux qui lisent au delà de la portée du regard dans l’ombre de l’avenir. Sylla était un homme qui avait accumulé contre lui trop de vengeances pour ne pas se prophétiser a lui-même une expiation certaine dans un inévitable successeur ; mais il vieillissait, et il avait déjà l’indifférence d’un tyran que la mort va couvrir bientôt contre les représailles de la tyrannie. Peu lui importait en ce moment que Rome eût un factieux de moins ou de plus après lui ! »

« Vous le voulez, dit-il aux vestales et à ses propres amis qui lui garantissaient la parfaite innocuité de César, j’y consens, mais souvenez-vous que vous vous en repentirez et qu’il y a dans ce jeune homme plus d’un Marius ! »

Ce nom de Marius ne venait pas au hasard sur les lèvres de Sylla ; car le vieux Marius avait épousé Julie, tante de César, et cette parenté avec l’homme dont le nom seul faisait frissonner les patriciens appelait naturellement sur le neveu de Marius le soupçon de quelque consanguinité de parti.

Quoi qu’il en soit, César pardonné rentra dans Rome et y reprit avec sa fortune le cours de ses prodigalités et de ses débauches. Il semblait vouloir faire oublier au tyran de sa patrie la peur qu’on avait eue de lui, par ses élégances, ses dettes et ses scandales. Sa demeure, ouverte à tous les luxes et à tous les plaisirs, était le foyer banal de tous les jeunes licencieux de Rome. On y professait les doctrines d’Épicure. On s’y raillait des mœurs, des lois et des dieux de la république. César était à la fois l’hôte et le modèle