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CÉSAR.

cliner à leurs caprices. Ses victoires sur Mithridate en Asie, la mer purgée par lui des pirates qui menaçaient l’approvisionnement de blé de l’Italie, l’avaient élevé, par de grands services, à un degré d’autorité auquel il ne manquait que le titre de dictateur. Son gouvernement d’Espagne et les nombreuses légions que le sénat lui permettait d’y entretenir avaient réuni dans ses mains toutes les armées de la république. La guerre enfin, où la fortune et les hasards se réservent souvent autant de place que le génie, l’avait entouré jeune encore d’un prestige et d’une majesté de grand homme dont la seule discussion aurait paru une sorte de blasphème ou d’impiété contre la patrie. Il y a ainsi, dans tous les temps et dans tous les pays, des hommes heureux, sacrés par le hasard des batailles, dont on accepte d’un accord commun la supériorité, jusqu’à ce que la fortune les prenne enfin corps à corps et les précipite de leur piédestal.

Tel était Pompée. N’étant pas à la hauteur des grandes difficultés du gouvernement de Rome depuis la disparition de Sylla, il se gardait, avec l’instinct de sa faiblesse, de les aborder de front. Il se contentait de régner de loin, en Espagne, par le nombre de ses légions et par l’étalage de ses colonies de vétérans ; en Italie, par le crédit de ses partisans dans le sénat et surtout par la balance des partis, que sa perpétuelle indécision d’esprit et son attitude équivoque entre le peuple et les patriciens tenaient en suspens.

On le voyait, dans toutes les dissensions du peuple et des nobles, partager assez équitablement le différend, proposer des tempéraments, adopter des transactions, conserver ainsi la réputation d’homme ancien dans le sénat, d’homme nouveau dans le Forum, et fonder à son profit ce juste milieu qui paraît honnête et qui n’est souvent qu’habille. De tels hommes, qui semblent ajourner les solutions,