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CÉSAR.

César confirmait cette faveur des citoyens par des libéralités qui ruinaient de plus en plus sa fortune privée, mais cette ruine même était moins une dissipation qu’un système : en multipliant ses créanciers dans Rome, il multipliait les hommes intéressés à son élévation pour recouvrer avec usure leurs avances, et il multipliait en même temps ses obligés dont la reconnaissance lui assurait des suffrages. Que lui importaient des millions puisés dans la bourse de créanciers qui lui achetaient la république et auxquels il donnerait lui-même la république en gage ? Coïntéresser le plus de citoyens possible à son ambition par des emprunts et par des prodigalités inépuisables, ce n’était pas seulement son luxe, c’était sa politique.

Cicéron commençait à soupçonner ce dessein profond sous l’incurie apparente du jeune favori du peuple. « Dans toute la conduite de cet homme, écrivait-il ai ses amis, je crois entrevoir des vues de tyrannie sur son propre pays ; mais lorsque je vois ensuite qu’il peigne ses cheveux avec tant de recherche et d’artifice, qu’il se gratte si efféminément la tête du bout du doigt, j’avoue que j’ai peine à m’imaginer qu’un homme si léger et si voluptueux nourrisse dans son âme un si profond et si funeste dessein de renverser la république. »

César cependant jetait, sous ses élégances, les premiers fondements de son dessein. Le peuple le nomma tribun des soldats, charge qu’il briguait contre Pompilius. Cette nomination lui ouvrait la carrière des grands commandements militaires, qui se confondaient à Rome, où l’on ne connaissait pas l’absurde séparation des facultés, avec les grandes fonctions civiles. La nature n’a pas fait des citoyens militaires et des citoyens civils, elle a fait des hommes. Défendre à un militaire d’être orateur ou à un orateur d’être un héros, ce n’est pas accroître la force de la patrie, c’est la mutiler.