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HOMÈRE.

jour, de cette face des mers et des terres, des hommes qu’il cessait de voir, donna quelque chose de plus pénétrant et de plus mélancolique à ce souvenir du monde disparu. Il retourna sa vision en lui-même, et il peignit mieux ce qu’il s’affligeait de ne plus regarder.

La première image qui lui remonta au cœur après avoir perdu tout espoir de guérison fut celle de la patrie. L’oiseau blessé cherche à s’abattre sur le nid qui l’a vu naître. Il se fit rapporter à Smyrne, dans la maison de Phémius, et près du tombeau de Crithéis, sa mère. Il y rouvrit une école ; mais sa longue absence avait fait oublier son nom et son art à ses concitoyens ; d’autres avaient pris sa place dans la renommée. Sa cécité semblait un signe de la colère des dieux. On ne croyait pas qu’un homme privé du plus nécessaire de ses sens pût enseigner le plus sublime des arts. Sa voix retentit dans le vide, son école resta déserte, ses anciens amis ne le reconnurent pas. L’indigence le força de chanter de porte en porte des vers populaires, pour arracher à l’indifférence de ses compatriotes le pain nécessaire à sa subsistance et au salaire de l’enfant qui servait de guide à ses pas. Toujours noble et majestueux d’expressions et d’attitude dans cette humiliante condition de mendiant aveugle, il ressemblait à un dieu de ses fables se souvenant de sa supériorité divine en demandant l’aumône aux mortels. Ulysse, sous les haillons d’un mendiant dans l’Odyssée, est un souvenir de ce temps de sa vie immortalisé par le poëte.

Mais, soit que ses concitoyens devinssent sourds a ses chants, soit que la honte, qui chasse les hommes déchus des villes où ils ont été heureux, rendît le séjour de Smyrne plus cruel que la faim au cœur d’Homère, il en sortit pour aller chercher de ville en ville des auditeurs plus compatissants. Il traversa a pied la plaine de l’Hermus pour aller d’abord à Cymé, patrie de sa mère et de son aïeul, où il