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HOMÈRE.

l’Ionie, qui devint le berceau de Marseille. Le golfe, entouré de rochers et ombragé de platanes, ressemble à un port creusé par la seule nature pour attirer sur les bords un peuple de navigateurs. La poésie fleurissait à Phocée plus qu’ailleurs, parce que la mer inspire la rêverie et le chant. Il y avait une école de chant célèbre dans la ville, tenue par un homme éloquent, mais jaloux et astucieux, qui connaissait le génie d’Homère par les récits des marchands de Smyrne, voisine de Phocée. Il se nommait Thesteride. En apprenant l’arrivée du pauvre aveugle, Thestoride feignit d’être ému d’une généreuse pitié. Il alla au-devant de lui, et lui offrit dans son école le toit et la table, à condition qu’Homère transcrirait pour lui les poëmes qu’il avait chantés dans ses voyages, et tous ceux que les muses lui inspireraient à l’avenir. Homère, contraint par la misère et la cécité, consentit à ces dures exigences de Thestoride, et vendit son génie pour gagner sa vie.

Ce fut là qu’il écrivit le plus accompli de ses poèmes, l’Iliade, œuvre à la fois nationale et religieuse, où les mœurs des Grecs, les exploits de leurs héros et les fables de leurs dieux sont chantés dans des vers qu’aucune langue n’égala jamais.

Cependant Thestoride ayant enrichi sa mémoire d’un grand nombre de vers achetés de son hôte, et craignant que le larcin ne fût trop facilement découvert, s’il les récitait comme siens à Phocée, alla établir une école dans l’île de Chio. La il s’enrichit en chantant et en vendant les dépouilles d’Homère, pendant que le véritable auteur languissait et mendiait lui-même à Phocée. Mais c’était peu d’être dérobé de sa gloire, il fut accusé de dérober lui-même celle de Thestoride. Des matelots revenant de Chio, où ils avaient entendu ce rapsode, et entendant Homère réciter sur le port de Phocée les mêmes vers, déclarèrent que ces chants étaient d’un poëte de Chio. À ce dernier