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CÉSAR.

on comprendra que Rome et l’Italie, pendant ces neuf années, ne fut qu’un immense écho, et que César jetait sans cesse d’au delà des Alpes le mot qu’il voulait faire répéter aux Romains.

Il y a de plus, en temps de faction, une popularité dans l’absence. Les peuples froissés par les gouvernements rapprochés d’eux cherchent leur consolation ou leur espérance au loin dans un homme imaginaire à qui ils n’imputent rien de ce qu’ils souffrent, à qui ils supposent toutes les perfections qu’ils rêvent ; et si cet homme imaginaire est en même temps un homme réel, un héros qui couvre de gloire sa patrie et dont on attribue l’éloignement à l’envie, l’absence de cet homme devient sa principale force, et le regret qu’on a de lui devient la passion fanatique de l’imagination de la multitude. C’est ce que nous avons vu de nos jours, quand Bonaparte s’était relégué habilement en Égypte, quand l’Europe le reléguait à l’île d’Elbe, et enfin quand la captivité et la mort le reléguèrent à Sainte-Hélène. C’est ce qui entretenait, pendant les guerres fabuleuses des Gaules, la mémoire et l’imagination des Romains du prestige toujours grandissant de César.

Il semblait, avec un art profond, s’étudier à irriter la passion publique en sa faveur, tantôt en se rapprochant de Rome autant que les lois le permettaient a un général d’armée à qui il était défendu de dépasser les limites de sa province, tantôt en s’éloignant tout à coup comme pour tromper le désir qu’il avait allumé et emporter à l’extrémité des Gaules le regret du peuple. Jamais courtisane d’Athènes ou de Rome n’employa plus d’artifice pour l’amour que César pour l’ambition.

Aussi la voix de l’enthousiasme était unanime. Cicéron, le premier des orateurs et des écrivains politiques, se laissait prendre à ces piéges. César entretenait avec lui, comme avec les hommes principaux de Rome, un com-