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CÉSAR.

de l’implacabilité de Sylla, mais, au contraire, il portait en lui toute la douceur, toute la miséricorde et toute la magnanimité de pardon compatibles avec les succès de sa fortune. Il ne reculait devant aucune immoralité et devant aucun crime, mais il était capable de reculer devant le sang. Ce n’était pas vertu, c’était répugnance. Son âme était impitoyable, ses sens étaient humains ; les champs de bataille, les supplices, les proscriptions, les cris des victimes, les larmes des vaincus, l’amollissaient comme une femme. Il détournait les yeux et la pensée de ce champ de carnage, aussi vaste que l’univers romain, sur lequel il allait déchaîner le fer et le feu non-seulement des Romains, mais des barbares qu’il avait enrôlés le premier contre Rome.

On ne saurait ratifier cependant ce préjugé historique de la douceur des mœurs de César qu’en se reportant au temps et aux mœurs du peuple ou César paraissait doux aux Romains. C’était une douceur par comparaison. Après deux bourreaux tels que Marius et Sylla, les Romains appelaient doux et humain le meurtrier de la Gaule et de l’Espagne, dont le sang ne comptait pas à leurs yeux parce que c’était du sang barbare. On ne doit jamais oublier que le peuple romain était dans l’origine et avait continué d’être depuis un peuple d’oppresseurs et de meurtriers, qui avait mis hors la loi de l’humanité’tout ce qui n’était pas Romain, c’est-à-dire le genre humain tout entier.

Certes, si les infortunés Gaulois, immolés et mutilés par centaines de mille autour des murs de leurs villes auxquels César avait fait clouer leurs mains coupées comme des trophées ; si les Espagnols, dont les soixante mille cadavres amoncelés et cimentés avaient formé des remparts dérisoires autour de leur camp ; si les deux cent mille alliés tués à Pharsale, en Égypte, en Afrique, à Munda, avaient écrit l’histoire de leur bourreau, il est à croire que la dou-