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CÉSAR.

nommer un gouverneur pour les Gaules ? Mais, sans m’arrêter à tout cela, vit-on jamais rien de plus indigne et de plus mal concerté que cette retraite, ou, pour mieux dire, cette fuite honteuse ? Quelles conditions ne devrait-on pas accepter plutôt que d’abandonner sa patrie ? Elles étaient fort mauvaises, je l’avoue ; mais est-il rien de pire que l’état où nous sommes ? Pompée, dira-t-on, pourra se relever. Quand et comment se relèvera-t-il ? Quelles mesures a-t-on prises ? N’avons-nous pas perdu le Picenum ? Le chemin de Rome n’est-il pas ouvert à notre ennemi ? Ne lui avons-nous pas livré tout le bien des particuliers et tout l’argent du trésor public ? Enfin, nous n’avons point de parti formé, nous manquons de troupes, nous n’occupons aucun poste où puissent se rassembler ceux qui sont bien intentionnés. On s’est retiré dans la Pouille, qui est la province la plus dénuée de subsistances, la plus faible et la plus reculée de l’Italie. On montre sa terreur en se ménageant ainsi d’avance la retraite honteuse par la mer dont on se rapproche. Si nous suivons Pompée au delà, de la mer, César s’en vengera sur nos biens et nous épargnera moins que les autres, parce qu’il pensera se populariser dans la multitude en sévissant contre nous !…

» Quoi de plus ignominieux, continue l’interprète de toute l’opinion des honnêtes gens de Rome, quoi de plus lamentable que cette situation et ce caractère ? Voilà Pompée qui, après avoir fomenté César dans son sein, s’avise tout à coup de le craindre ! Il veut la guerre et il ne prépare rien pour la faire ! Il abandonne Rome elle-même ! Et, pendant qu’il écrit aux consuls une lettre où l’on s’attend qu’il va relever leur courage et faire face au crime avec la conscience de sa bonne cause, le voilà qui abandonne tout à coup la Campanie elle-même et la Pouille, et qui appelle les sénateurs, les consuls, la patrie entière à Brindes pour fuir avec lui !