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CÉSAR.

Quelques rares fugitifs parvinrent à entrer dans la ville fortifiée d’Utique, où Caton commandait la réserve des républicains.

Caton, comme beaucoup d’hommes supérieurs en leur temps, craignait tout de César et n’espérait rien de son propre parti. Il restait fidèle à la république, ou plutôt au nom de la république, par devoir et non par illusion. Il était las du monde où sa vertu n’avait plus de place dans la corruption ou dans la lâcheté générale. Si les républicains de Pompée triomphaient, il était décidé à s’exiler lui-même pour n’être pas témoin de leurs dissensions et de leurs vengeances ; si César était vainqueur, il était décidé à mourir pour ne pas plier sous la fortune du coupable. Son âme, fortifiée par une philosophie stoïque, était incompatible avec la corruption de la république, comme avec la tyrannie de son destructeur. On peut croire que ce ne fut pas pour lui une douloureuse nécessité que celle de mourir. Il était de ces hommes sans alliage qui semblent toujours vivre à contre-temps, parce qu’ils ne savent se conformer à aucun temps, excepté à des temps chimériques. Hommes admirables de savoir mourir, plus admirables et plus véritablement vertueux s’ils savaient vivre !

Il faut lire sa mort pour bien connaître Caton et pour bien mesurer le crime de César, condamnant de tels hommes à s’avilir ou à mourir. L’histoire ne nous a laissé manquer d’aucune information sur les dernières heures d’Utique et sur le dernier soupir de Caton ; car Caton a eu ce bonheur de personnifier, dans son agonie, l’agonie de la république.

À l’arrivée des fugitifs qui lui annoncent la défaite irrémédiable des républicains et leur suicide à Thapsus, Caton fait fermer les portes de la ville, et convoque les trois cents membres de la colonie romaine qui était établie à Utique et qui formait le sénat d’Afrique, pour délibérer sur ce qui