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CÉSAR.

légions romaines des fils de Pompée et toute la jeunesse patricienne et plébéienne de Rome consterna plus les Romains qu’aucune chose qu’il eût encore osée ; car il ne triomphait pas pour avoir vaincu des rois et des généraux étrangers, mais pour avoir ruiné les enfants de Rome et détruit la race du plus grand personnage que Rome eût porté et que la fortune eût jamais précipité de plus haut dans l’abîme. Tout le monde trouvait que c’était une chose indigne que de triompher des calamités de sa patrie et de se réjouir de victoires qu’on devait plutôt déplorer, et que ni les hommes ni les dieux ne pouvaient excuser.

Cependant, ajoute-t-il avec tristesse, les Romains, pliant sous la grande fortune de cet homme et recevant le frein, persuadés que le seul moyen de respirer et d’assoupir toutes ces guerres civiles et toutes ces convulsions, c’était de se soumettre à un seul, le nommèrent dictateur perpétuel, et c’était là, la plus palpable et la plus inouïe des tyrannies, puisque, à l’autorité absolue et souveraine, à la pleine et personnelle toute-puissance de la monarchie, on ajoutait de plus le droit de n’en être jamais dépossédé. »

Cependant le droit, la légitimité, le respect manquaient tellement à cette usurpation de César, que ses soldats eux-mêmes, en suivant au Capitole son char de triomphe, tournaient en dérision le maître qu’ils imposaient ainsi aux citoyens. Ils le montraient du doigt à la population, avec des railler les soldatesques sur son front chauve, sur ses mœurs efféminées, sur ses adultères, sur son impiété, sur les turpitudes de sa jeunesse chez Nicomède, sur tous les vices qu’ils couronnaient effrontément sur la tête de leur général. C’est le comble de l’ignominie, pour un peuple, de mépriser celui qu’il subit. Cette ignominie ne fut pas épargnée aux Romains par les vétérans et les Gaulois de César.