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CÉSAR.

Ces auxiliaires, c’étaient, pour César, les démagogues de Rome, les continuateurs de Clodius, les provocateurs de la loi agraire, de l’abolition des dettes, de la spoliation des possesseurs de maisons par la suppression des loyers, la plèbe famélique qu’il fallait assouvir sans cesse de froment, d’huile, de spectacles, de sang, de gladiateurs, d’animaux étrangers, éléphants, girafes, amenés à grand prix du fond des déserts, de triomphes où l’orgueil romain se dilatait des larmes des captifs ; c’était l’armée substituée à tout, sénat, lois, peuple ; enfin, c’étaient les hommes qui, tels que Dolabella, Antoine, avaient passé des crapules de leur jeunesse à Rome dans les camps de César, avec leurs dettes et leurs vices, qui n’avaient de réhabilitation que dans sa fortune et de salut que dans sa tyrannie militaire, et à qui il était obligé, faute d’instruments plus honorables, de confier les provinces, les légions et le gouvernement même de Rome.

Tel était surtout Antoine, sorte de César de caserne et de populace, qui le servait par son zèle en le compromettant par ses excès. César ne pouvait pas avoir d’instruments honnêtes dans la plus déshonnête des entreprises, celle de la tyrannie ; il ne craignait pas Antoine, parce que ses vices le déshonoraient trop pour qu’il pût jamais prétendre par lui seul à la domination. Entre l’empire et Antoine il y avait le mépris public ; César le montrait avec complaisance aux Romains comme une espèce de brute féroce et monstrueuse qu’il savait seul museler ; il n’était pas fâché que les Romains vissent par le contraste la différence qu’il y avait entre un maître couvert de gloire, doux, poli, élégant, miséricordieux comme César, et un maître brutal, soldatesque et populacier comme Antoine. L’un relevait l’autre.

Antoine était l’ombre qui faisait ressortir dans la lumière la figure de César.