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HOMÈRE.

l’oreille, non-seulement comme une intelligence, mais aussi comme une volupté !

N’est-il pas évident qu’après un long et familier entretien avec ce livre, l’homme brutal et féroce aurait disparu, et l’homme intellectuel et moral serait éclos dans ce barbare auquel les dieux auraient enseigné ainsi Homère ?

Eh bien, ce qu’un tel poëte aurait fait pour ce seul homme, Homère le fit pour tout un peuple. À peine la mort eut-elle interrompu ses chants divins, que les rapsodes ou les homérides, chantres ambulants, l’oreille et la mémoire encore pleines de ses vers, se répandirent dans toutes les îles et dans toutes les villes de la Grèce, emportant à l’envi chacun un des fragments mutilés de ses poëmes, et les récitant de génération en génération aux fêtes publiques, aux cérémonies religieuses, aux foyers des palais ou des cabanes, aux écoles des petits enfants ; en sorte qu’une race entière devint l’édition vivante et impérissable de ce livre universel de la primitive antiquité. Sous Ptolémée Philopator, les Smyrnéens lui érigèrent des temples, et les Argiens lui rendirent les honneurs divins. L’âme d’un seul homme souffla pendant deux mille ans sur cette partie de l’univers. En 884 avant J.-C., Lycurgue rapporta à Sparte les vers d’Homère, pour en nourrir l’âme des citoyens. Puis vint Solon, ce fondateur de la démocratie d’Athènes, qui, plus homme d’État que Platon, sentit ce qu’il y avait de civilisation dans le génie, et qui fit recueillir ces chants épars comme les Romains recueillirent plus tard les pages divines de la Sibylle. Puis vint Alexandre le Grand, qui, passionné pour l’immortalité de sa renommée, et sachant que la clef de l’avenir est dans la main des poëtes, fit faire une cassette d’une richesse merveilleuse pour y enfermer les chants d’Homère, et qui les plaçait toujours sur son chevet, pour avoir des songes divins. Puis vinrent les Romains, qui, de toutes leurs con-