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CÉSAR.

à voix basse, chacun est à peu près sûr d’avoir un complice dans tous, il se prépare en bas contre la tyrannie une de ces explosions d’opinion publique qui ne se révèlent que sur la physionomie muette du peuple, mais ou le silence et les yeux baissés couvrent la résolution commune. Les peuples sont naturellement pusillanimes, parce que, tout en désirant passionnément d’être délivrés, aucun des hommes isolés qui composent la foule n’est chargé spécialement de la responsabilité de la patrie et ne sent en soi le dévouement nécessaire pour se compromettre et pour se sacrifier, inutilement peut-être, au salut de sa cause et de son pays. Voilà ce qui rend les tyrannies si durables, et ce qui fait que les murmures précèdent de si loin les explosions. Les révolutions sont déjà, mille fois accomplies dans tous les cœurs avant que les mains s’arment pour frapper la tyrannie.

Dans une situation semblable à celle que nous venons de décrire, tous les yeux se portent instinctivement sur l’homme que la conformité d’opinion, le génie, l’intégrité, le courage, désignent de plus haut à la pensée publique comme l’homme d’action et de salut. On espère vaguement en lui sans l’avoir interrogé ; on le nomme tout bas, on se repose en lui, on s’irrite de sa lenteur, on j’objurgue, on le provoque, on lui fait des signes d’intelligence ; on finit, à force d’insinuations, par faire naître dans le cœur de cet homme une pensée qu’il n’avait pas lui-même au commencement, par le charger tacitement de la colère et de la délivrance communes, par lui imposer en quelque sorte ou la responsabilité de l’oppression soufferte ou le devoir du coup d’État de la liberté.

Un tel homme existait : c’était Brutus. Pour bien le comprendre, il faut remonter jusqu’à son berceau.

De toutes les femmes que César avait aimées dans sa jeunesse, Servilie, avant Cléopâtre, avait été sa plus tendre