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CÉSAR.

pardonnait pas de l’avoir dénaturé aux yeux des Romains ; il cherchait de l’œil une occasion, aussi grande que son âme, de recouvrer, par quelque acte mémorable pour la patrie, l’innocence, la réputation et la vertu, dont le contact avec un tyran avait obscurci l’éclat sur son nom.

Le peuple, qui pénètre plus qu’on ne pense dans le secret des âmes héroïques, ne s’était pas trompé cependant au rapprochement apparent de Brutus et de César. Il voyait un voile sur le visage du républicain favori de César, comme il avait vu le masque de l’idiotisme sur le visage du premier Brutus pour cacher la haine et la mort des rois ; mais derrière ce voile, comme derrière ce masque, le peuple de Rome pressentait un libérateur de son pays.

Brutus ne pouvait ignorer longtemps lui-même ces dispositions du peuple à tout lui pardonner et à tout espérer de lui. Il recevait sans cesse des billets anonymes, où des citoyens inconnus lui rappelaient la source de son sang et lui faisaient honte de ressembler si peu à ses frères. Ses amis et ses parents ne cessaient de lui dire qu’il était peu séant à un neveu et à un gendre de Caton d’être le favori de César, ajoutant « qu’il ne devait pas se laisser apprivoiser et tromper par un tel homme, mais, au contraire, se préserver de tout contact avec les grâces et les caresses par lesquelles, disait-on, le maître de Rome cherchait bien moins à honorer son rare mérite qu’à lier par la reconnaissance son courage et à endormir son patriotisme. »

À mesure que la haine publique montait davantage contre César, ceux qui espéraient en Brutus multipliaient le murmure sourd et les objurgations à demi-voix à ses oreilles, pour le forcer à les entendre. Ces symptômes d’une opinion qui s’aliène, et qui cherche un centre illustre pour s’y grouper, ne pouvaient échapper à César. Il n’était pas ombrageux ; il était trop accoutumé à tout soumettre par la violence pour redouter beaucoup les embûches ; d’ailleurs,