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CÉSAR.

main contre toi, afin que je te frappe encore au visage. »

Du jour où César eut adjugé la préture à Brutus au détriment de Cassius, Cassius ne s’irrita pas contre Brutus, mais contre César. Il détesta moins en lui son rival préféré, qu’il n’aima dans ce rival l’homme qui donnait le plus à sa patrie l’espérance de la délivrer de la tyrannie. Il commença à cultiver, dans un intérêt de vengeance supérieure, l’heureux compétiteur dont il voulait faire un complice.

La préture ainsi accordée à Brutus comme un signe de la faveur croissante de César ne découragea pas les républicains de bien espérer de lui. Cette magistrature, qui le plaçait en évidence et en contact perpétuel avec les citoyens, fut au contraire pour lui l’occasion d’un redoublement de popularité dans la ville. Cette popularité sévère prenait toujours les formes du reproche. Un jour, on trouvait affiché sur le piédestal de la statue du premier Brutus ces mots qui devaient poigner le cœur du moderne Brutus : « O Brutus ! plût aux dieux que tu vécusses dans les descendants ! » Un autre jour, sur le socle du tribunal où le préteur rendait la justice : « Où es-tu, Brutus ? » Ailleurs : « Tu alors, Brutus ! Non, tu n’es pas des vrais Brutus ! »

Le bois et la pierre prenaient ainsi des voix pour accuser le jeune préteur de la servitude impunie des Romains. Chaque matin, quand il montait à son tribunal, on y trouvait en foule des billets, des inscriptions, des adjurations semblables, déposés pendant la nuit. C’en était trop pour laisser dormir plus longtemps la conscience d’un homme à qui ses préceptes philosophiques avaient inculqué, comme première vertu, le sacrifice de la reconnaissance et même de la nature au devoir. Depuis qu’il s’était convaincu qu’une plus longue patience à attendre la restauration de la liberté par son bienfaiteur et son père était une illusion et une