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CÉSAR.

complicité, il n’hésitait plus à méditer le renversement du dictateur, il espérait seulement que d’autres mains le dispenseraient d’un acte qui ressemblait trop à l’ingratitude et au parricide.

Mais les partis ne dispensent d’aucune extrémité l’homme unique dont ils ont besoin pour leur œuvre. Aucun autre ne pouvait remplacer Brutus ; sa vertu même, qui le désignait entre tous par son nom aux républicains, était sa condamnation au crime. Il y avait de la superstition et de la fatalité, aux yeux des Romains, dans ce nom ; il fallait, selon eux, qu’il désavouât sa race ou qu’il imitât ses ancêtres.

On soupçonna ce qui se passait dans l’âme de Brutus, et on lui mit avec tant d’art et d’obstination le poignard à la main qu’il ne pouvait le rejeter sans perdre ses amis et sans se trahir lui-même. Un petit nombre de patriciens républicains, l’élite de la jeunesse romaine, Statilius, philosophe de la secte d’Épicure, Favonius, le disciple et l’imitateur de Caton, Labéon, Casca, hommes de conseil extrême et d’exécution intrépide, se rassemblaient mystérieusement dans la maison de Cassius pour épier l’heure de la liberté et pour concerter le meurtre du tyran, seul obstacle à la résurrection de la république. César, en n’édifiant aucune institution qui pût lui survivre, était à lui seul la tyrannie tout entière. Lui mort, il n’y avait plus que Rome, et Rome paraissait impatiente et capable de renaître à l’antique liberté.

Mais aucun de ces conjurés, quelque importants qu’ils fussent dans le sénat et dans le peuple, n’avait une popularité et une autorité morale suffisantes pour imposer au peuple le respect de l’attentat qu’ils méditaient. Le premier venu peut frapper un tyran et appeler un peuple à la liberté ; mais il faut un homme éclatant et prédestiné pour changer le meurtre en révolution. Ce n’est pas l’assassin,