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CÉSAR.

son entreprise pour qu’on le déclare un jour digne d’avoir été l’époux d’une femme telle que Porcia ! Il avoua tout à une femme qui savait s’infliger a elle-même des supplices qui bravaient d’avance la main et le fer des bourreaux.

Cependant, le jour des ides de mars approchait, et la physionomie seule de Rome inspirait aux familiers de César on ne sait quel vague pressentiment de péril invisible, mais oppressif comme l’atmosphère d’un grand crime. On lui conseillait de se défier de tels et tels jeunes patriciens, hardis en paroles, et même de quelques amis de sa fortune, comme Antoine et Dolabella. « Non, non, dit-il, ce ne sont pas ces visages gras et bien peignés, ce sont ces visages maigres et pales (en désignant du geste Brutus et Cassius) qui sont capables de funestes résolutions et qu’il faut craindre. » Mais il avait tant à craindre de tous côtés par les représailles provoquées contre sa vie, qu’il avait pris le parti de ne plus rien craindre ; la vie lui pesait, la possession du monde le trompait, comme elle trompe tous ceux qu’elle allèche ; les accès de sa maladie mentale se multipliaient et l’amaigrissaient comme un squelette.

Un jour qu’on lui disait encore de se défier de Brutus : « Bah ! répondit-il en découvrant sa poitrine et ses flancs devenus grêles par les soucis de l’empire ; pouvez-vous penser que Brutus n’aura pas la patience d’attendre que ce corps miné tombe de lui-même en ruine ? »

Mais l’ambition effrénée survivait à la vie. On lui conseilla en vain d’ajourner une aspiration à la royauté qui n’ajoutait rien à sa puissance et qui lui aliénait le peuple romain ; il s’obstinait à ce titre, parce que les augures le disaient nécessaire au vainqueur des Parthes, et qu’il voulait la guerre pour distraire Rome de la tyrannie ; il la désirait aussi dans l’espoir que l’activité des camps rétablirait sa santé, toujours plus chancelante dans l’inaction de Rome.