Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 34.djvu/401

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
400
CÉSAR.

César, à remplacer César ou par la liberté antique ou par une nouvelle tyrannie.

Antoine, caché au premier moment chez un affranchi sous le costume d’un prolétaire, profita, avec une rare inspiration d’habileté, des temps et des forces que les conjurés lui laissaient comme lieutenant de César et comme consul, puisqu’on respectait en lui ces deux titres. Il agit à la fois, dans la nuit, comme général et comme magistrat, courut au camp hors de la ville, harangua les légions, les émut de pitié sur le sort de César, les conjura néanmoins d’attendre sous les armes la volonté du peuple et les décrets du sénat ; puis, rentrant dans la ville, il déclara sa déférence complète aux ordres du sénat, sa sollicitude pour éviter à Rome une guerre civile, son amour d’une pacification générale des partis réconciliés dans le sang de César, et, s’entourant des meilleurs citoyens, il prit, pour ainsi parler, la dictature de la concorde.

Cicéron, humilié mais heureux de n’avoir pas été mis par les conjurés dans la confidence du meurtre, proposa une amnistie générale, et contre ceux qui avaient participé à la tyrannie du mort, et contre ceux qui l’avaient tué. Antoine sut assez dominer au commencement sa colère pour envoyer à Brutus au Capitole des paroles de paix, pour lui donner son propre fils en otage, pour aller de sa personne s’entretenir avec lui dans un souper qui réunit le meurtrier et le vengeur de César. Antoine, malgré sa douleur, ne pouvait se dissimuler que l’événement lui remettait l’arbitrage et peut-être la dictature d’où le poignard des conjurés venait de précipiter son patron. L’ambition fut son génie dans cette nuit suprême, il mérita d’être et il fut en effet le sauveur de l’ordre et bientôt l’arbitre des amis et des ennemis de César. Jamais César lui-même, son maître, n’avait conçu, agi, parlé, négocié, avec un coup d’œil plus rapide et un maniement à la fois plus ferme et