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CÉSAR.

le pouvoir et dans la gloire, en insurgeant l’opinion et bientôt les armées contre son bienfaiteur et son gendre, le grand Pompée, qui n’était grand que par la légitimité de sa grandeur.

Il l’avait mérité en faisant passer le Rubicon non-seulement aux légions romaines, mais aux légions de barbares gaulois et espagnols auxquels il apprenait le premier le chemin de Rome.

Il l’avait mérité en traitant sa patrie en pays conquis, en violant le sénat, le peuple, le trésor, les temples, en forçant les consuls et les citoyens à une immense proscription en masse qui ne laissait en Italie que la populace, les Gaulois, les prétoriens espagnols et lui !

Il l’avait mérité en poursuivant de continent en continent, de champ de bataille en champ de bataille, cette république errante ; en contraignant Pompée à la mort, Caton au suicide, Cicéron à la bassesse, Brutus même, son fils, à la dissimulation et à l’assassinat.

Il l’avait mérité en couvrant Corfinium en Italie, Pharsale en Grèce, Alexandrie en Égypte, Thapsus en Afrique, Munda en Espagne, de sept cent mille cadavres de Romains immolés par des Romains à sa voix.

Il l’avait mérité en corrompant Rome jusqu’à la moelle pour l’assouplir à la servitude, en ne lui donnant pour institutions que des jeux, des triomphes, des gladiateurs, des orgies, mœurs des peuples qu’on veut désarmer.

Il l’avait mérité, enfin, en n’osant pas même accomplir ce qu’il avait rêvé pendant tant de crimes : saisir la monarchie héréditaire, servitude au moins paisible des citoyens dégradés par lui.

Il l’avait mérité en ramenant tout à lui-même, à lui seul ; en prenant l’univers romain en viager sur sa tête et en ne se préparant d’autre héritier possible que l’anarchie.

Était-ce assez de crimes pour mériter les vingt-trois