Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 34.djvu/406

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
405
CÉSAR.

coups de poignard des conjurés républicains ? Il n’y a pas une conscience, républicaine ou monarchique, peu importe, mais seulement honnête, qui ne condamne à mort le meurtrier de sa patrie ; qu’est-ce donc quand cette patrie c’est l’univers, et quand ce meurtrier c’est le favori de l’univers ?

Mais ces considérations sont-elles de nature à légitimer l’acte de Brutus et à justifier l’assassinat même du tyran ?

L’antiquité le croyait dans sa moralité imparfaite, qui jugeait les actes par le patriotisme, au lieu de les juger par la conscience. Nous ne le croyons plus, parce que l’intérêt de la patrie n’est pas pour nous le type de la justice. Le type de la justice moderne est plus haut et plus large que la patrie : c’est le devoir. Les règles du devoir ne sont pas écrites pour nous de mains de patriotes, mais des mains de Dieu. Ces règles ne remettent aucune vie, pas même celle de l’usurpateur, du tyran, du meurtrier, à l’arbitraire erroné ou fanatique de celui qui croit venger la liberté, la patrie, l’espèce humaine. Elles ne la remettent qu’aux lois, expression de la conscience souveraine et légitime de la patrie.

Rome avait le droit de révolution ; Brutus, isolé, n’avait pas le droit de meurtre. Il ne l’avait pas comme patriote, il l’avait moins encore comme fils, peut-être ne l’avait-il pas comme politique. Il n’avait reçu mandat que de son fanatisme pour la liberté de son pays ; mais le fanatisme n’est que le mandat d’une opinion, d’une haine, quelquefois d’une démence, et, si Brutus avait quelque doute sur la légitimité de son assassinat, il n’avait qu’à interroger sa conscience sur la moralité des moyens qu’il était forcé d’employer pour l’accomplir. Ces moyens étaient le mystère, qui, à lui seul, accuse l’acte qui a besoin de se cacher : on conspire à l’ombre, on sauve son pays et son opinion au grand jour ; c’était ensuite l’usurpation sur la