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CICÉRON.

que la littérature latine a été depuis pour nous : la tradition de l’esprit humain, le modèle de la langue, le grand ancêtre de nos idées. La rapide et universelle intelligence de l’enfant fit une explosion plutôt que des progrès aux premières leçons qu’il reçut en sortant du berceau, sous les yeux de sa mère. Sa vocation aux choses intellectuelles fut si prompte, si merveilleuse et si unanimement reconnue autour de lui, dans les écoles d’Arpinum, qu’il goûta la gloire, dont il devait épuiser l’ivresse, presque en goûtant la vie. Les petits enfants, ses compagnons d’école, le proclamèrent d’eux-mêmes roi des écoliers ; ils racontaient à leurs parents, en rentrant des leçons, les prodiges de compréhension et de mémoire du fils d’Helvia, et ils lui faisaient d’eux-mêmes cortége jusqu’à la porte de sa maison, comme au patron de leur enfance. Quand la supériorité est démesurée parmi les enfants et parmi les hommes, elle ne suscite plus l’envie : on la subit et on l’acclame comme un phénomène ; et comme les phénomènes sont isolés et ne se renouvellent pas, ils n’humilient pas la jalousie, ils l’étonnent. Tel était le sentiment qu’inspirait le jeune Cicéron aux enfants d’Arpinum. Que n’en inspira-t-il un aussi noble et aussi honorable plus tard à Clodius, à Octave et à Antoine ?

La poésie, cette fleur de l’âme, l’enivra la première. Elle est le songe du matin des grandes vies ; elle contient en ombres toutes les réalités futures de l’existence ; elle remue les fantômes de toutes choses avant de remuer les choses elles-mêmes ; elle est le prélude des pensées et le pressentiment de l’action. Les riches natures, comme César, Cicéron, Brutus, Solon, Platon, commencent par l’imagination et la poésie : c’est le luxe des séves surabondantes dans les héros, les hommes d’État, les orateurs, les philosophes. Malheur à qui n’a pas été poëte une fois dans sa vie ?