Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 34.djvu/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
57
CICÉRON.

femme, d’une fortune qui ne fut jamais splendide, car il ne plaida jamais que gratuitement, pour la justice ou pour la gloire, jugeant que la parole était de trop haut prix pour être vendue ; lié d’amitié avec les plus grands, les plus lettrés et les plus vertueux citoyens de la république, Hortensius, Caton, Brutus, Atticus, Pompée ; père d’un fils dans lequel il espérait revivre, d’une fille qu’il adorait comme la divinité de son avenir ; n’employant son superflu qu’à l’acquisition de livres rares que son ami le riche et savant Atticus lui envoyait d’Athènes ; distribuant son temps entre les affaires publiques de Rome et ses loisirs d’été dans ses maisons de campagne, à Arpinum, dans les montagnes de ses pères ; à Cumes, sur le bord de la mer de Naples ; à Tusculum, au pied des collines d’Albe, séjours cachés et délicieux ; mesurant ses heures dans ces retraites comme un avare mesure son or ; donnant les unes à l’éloquence, les autres à la poésie, celles-ci à la philosophie, celles-là à l’entretien avec ses amis ou à ses correspondances, quelques-unes à la promenade sous les arbres qu’il avait plantés et parmi les statues qu’ils avaient recueillies, d’autres aux repas, peu au sommeil ; n’en perdant aucune pour le travail, le plaisir d’esprit, la santé ; se couchant avec le soleil, se levant avant l’aurore pour recueillir sa pensée avant le bruit du jour dans toute sa force, sa santé se rétablissait, son corps reprenait l’apparence de la vigueur, sa voix ces accents mâles et cette vibration nerveuse que Démosthène faisait lutter avec le bruit des vagues de la mer, et plus nécessaires aux hommes qui doivent lutter avec les tumultes des multitudes. Il était sage, honoré, aimé, heureux, pas encore envié. La destinée semblait lui donner tout et la fois, au commencement de sa vie, cette dose de bonheur et de calme qu’elle mesure à chacun dans sa carrière, comme pour lui faire mieux savourer, par la comparaison et par le regret, les années de trouble,