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CICÉRON.

perdus d’opinion et de renommée, fut abattue en un jour à Florence, comme elle l’avait été en une nuit à Rome.

Le consulat de Cicéron finit dans la terreur des factieux et dans la reconnaissance des bons citoyens. César et son parti alors naissant, plus redoutable que celui de Catilina, s’opposèrent seuls à ce que Cicéron rendît compte au peuple des mesures qu’il avait prises et du sang qu’il avait versé. « Eh bien, dit Cicéron en paraissant à la tribune, où César, préteur, lui refusa la parole, je ne ferai point de harangues, mais je ferai un serment. » Le peuple, étonné, attendit le serment du consul. « Je jure, s’écria Cicéron en attestant sa conscience, sa patrie et les dieux, je jure que j’ai sauvé la république ! » César et ses complices protestèrent en vain par leur silence contre le meurtre de leurs amis ; le peuple tout entier applaudit au témoignage du sauveur de Rome, et l’accompagna respectueusement jusqu’au seuil de sa maison. On lui décerna, quelques jours après, le titre de Père de la patrie. Les empereurs s’arrosèrent plus tard ce titre. Rome libre le donna d’elle-même et pour la première fois à Cicéron. Les villes de l’Italie lui dressèrent des statues comme à un dieu. On l’appelait le second fondateur de Rome.

Ce fut le sommet de sa gloire et de sa fortune : l’envie l’y attendait. La république était dans un tel état, qu’elle n’avait plus de place pour un si honnête et si glorieux citoyen. Elle tolérait les grands talents et les grandes renommées, mais à condition qu’ils fussent alliés à de grands vices. Tous les partis avaient intérêt à écarter Cicéron, car tous avaient quelque complaisance ou lâche ou criminelle a lui demander. Quand les nations sont décidées à se perdre ou à se souiller, elles écartent les grands témoins qui les feraient rougir de leur bassesse.

Telle était Rome dans ces années qui précédèrent l’usurpation de César et l’anéantissement de la république.