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CICÉRON.

ron le précédait et le dénonçait partout. Il apprit que les restes du parti de Catilina et les complices de Clodius l’attendaient à Athènes, pour lui demander compte, le poignard à la main, de la vie de Catilina, de Lentulus et de Céthégus. Il se détourna prudemment de cette trace de sang qui semblait le devancer et le poursuivre, et il se réfugia à Thessalonique, colonie romaine au fond de la Méditerranée, au pied des montagnes de la Macédoine.

« Que je me repens, écrit-il en route ; que je me repens, mon cher Atticus, de n’avoir pas prévenu par ma mort volontaire l’excès de mes malheurs ! En me suppliant de vivre, vous ne pouvez qu’une chose : arrêter ma main prête à me frapper moi-même ; mais, hélas ! je ne m’en repens pas moins tous les jours de ne pas avoir sacrifié cette vie pour sauver mon héritage à ma famille : car qu’est-ce qui peut maintenant m’attacher à l’existence ? Je ne veux pas, mon cher Atticus, vous énumérer ces malheurs, dans lesquels j’ai été précipité bien moins par le crime de mes ennemis que par la lâcheté de mes envieux. (Allusion poignante à Pompée, à Crassus, à César.) Mais j’atteste les dieux que jamais homme ne fut écrasé sous une telle masse de calamités, et qu’aucun n’eut jamais occasion de souhaiter davantage la mort !… Ce qui me reste de temps à vivre n’est pas destiné à guérir mes maux, mais à les finir !… Vous me reprochiez le sentiment et la plainte de mes maux. Mais y a-t-il une seule des adversités humaines qui ne soit accumulée dans la mienne ? Qui donc tomba de plus haut, d’un sort plus assuré en apparence, doué de telles puissances de génie, de sagesse, de faveur publique, d’estime et d’appui d’une telle masse de grands et bons citoyens ?… Puis-je oublier en un jour ce que j’étais hier, ce que je suis encore aujourd’hui ? À quelles dignités, à quelle gloire, à quels enfants, à quels honneurs, quelles richesses d’âme et de biens, a quel frère enfin (un frère que j’aime à cet excès, qu’il m’a fallu, par un genre inouï de supplice, me séparer sans l’embrasser, de peur qu’il ne vît mes larmes et que je ne pusse moi-même supporter sa pâleur et son deuil) je suis arraché !… Ah ! j’énumérerais encore bien d’autres causes de désespoir, si mes larmes elles-mêmes ne me coupaient la voix !… Je sais, et c’est là la plus amère de mes peines, que c’est par mes