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CICÉRON.

avons tout l’univers pour nous. Qui me l’aura refusé ? Ceux à qui la mort de Clodius a procuré la paix ou le repos. À qui l’auront-ils refusé ? À moi. Quel crime si grand ai-je donc commis ? De quel forfait si horrible me suis-je donc rendu coupable, lorsque j’ai pénétré, découvert, dévoilé, étouffé cette conjuration qui menaçait l’État tout entier ? Telle est la source des maux qui retombent sur moi et sur tous les miens. Pourquoi vouloir mon retour ? Était-ce pour exiler à mes yeux ceux qui m’avaient ramené ? Ah ! je vous en conjure, ne souffrez pas que ce retour soit plus douloureux pour moi que ne l’avait été ce triste départ. Puis-je en effet me croire rétabli, si les citoyens qui m’ont replacé au sein de Rome sont arrachés de mes bras ?

Plutôt que d’en être témoin, puissé-je (pardonne, ô ma patrie ! je crains que ce vœu de l’amitié ne soit une horrible imprécation contre toi) ; puissé-je voir Clodius vivant, le voir préteur, consul, dictateur… Dieux immortels, quel courage ! et combien Milon est digne que vous le conserviez ! Non, dit-il, non, rétracte ce vœu impie. Le scélérat a subi la peine qu’il méritait : à ce prix subissons, s’il le faut, une peine que nous ne méritons pas. Cet homme généreux, qui n’a vécu que pour la patrie, mourra-t-il autre part qu’au sein de la patrie ? Ou s’il meurt pour elle, conserverez-vous le souvenir de son courage en refusant à sa cendre un tombeau dans l’Italie ? Quelqu’un de vous osera-t-il rejeter un citoyen que toutes les cités appelleront quand vous l’aurez banni ? Heureux le pays qui recevra ce grand homme ! O Rome ingrate si elle le bannit ! Rome malheureuse si elle le perd ! Mais finissons : mes larmes étouffent ma voix, et Milon ne veut pas être défendu par des larmes. »

Cicéron, après les fonctions de pontife qu’il avait exercées cinq ans, obtint le gouvernement de la Cilicie, en qualité de général, de proconsul et de purificateur de cette