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CICÉRON.

imperator, titre suprême qui préludait ordinairement au triomphe. Les agitations croissantes de Rome l’arrachèrent à ces honneurs : il y rentra avec ses faisceaux entourés de lauriers, symbole des expéditions heureuses. À son arrivée, Rome, triomphante au dehors, périssait au dedans.

La rivalité entre César et Pompée, qui n’était plus contre-balancée par Crassus, s’était accrue et envenimée pendant l’absence de Cicéron. César demandait au sénat des prolongations de pouvoir, des extensions de provinces, des adjonctions de légions à son armée, et des honneurs qui l’auraient rendu maître de la république. Pompée, appui de la république, du sénat et des citoyens, les lui refusait. La guerre ouverte était prête à éclater entre deux hommes trop grands pour qu’une même patrie, et presque un même univers, pût les contenir. Un troisième parti, formé à la fois des républicains incorruptibles, tels que Caton, Brutus et leurs amis, et des agitateurs du peuple, reste des factions populaires de Clodius, menaçait la république de trouble, sous prétexte de la défendre, pendant que César et Pompée la menaçaient de tyrannie, sous prétexte de la sauver. Entre ces trois dangers, que la vive et pénétrante intelligence de Cicéron lui faisait voir de plus loin qu’au vulgaire, il n’examinait plus où était le plus grand bien, mais le moindre mal pour la république. La tyrannie démagogique du peuple, remué par ses tribuns, lui faisait horreur. L’ombre de Clodius, ses dangers courus, ses amis tués, ses honneurs perdus, sa proscription subie, ses maisons brûlées, le souvenir des insurrections des Gracques, des torches de Marius, des licteurs de Sylla, le faisaient frémir du retour des convulsions civiles. D’un autre côté, un choc des armées romaines, sur le sein même de l’Italie, entre Pompée et César, ne lui montrait en perspective que la guerre de Romains contre Romains et la tyrannie absolue et sans contre-poids des vainqueurs.