Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/8

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nous descendons tous de cheval pour marcher avec plus de tâtonnements ; vingt fois nous sommes obligés de nous arrêter aux cris qui partent de la tête ou de la queue de la caravane ; c’est un cheval qui a roulé, c’est un homme qui est tombé ; nous sommes souvent sur le point de nous arrêter tout à fait et d’attendre, immobiles à notre place, que cette longue et profonde nuit soit passée ; mais la tête marche, il faut marcher. Après trois heures d’une pareille anxiété, nous entendons de grands cris et des coups de fusil à la tête de la caravane : nous croyons que les Arabes de Jéricho nous attaquent ; chacun de nous se prépare à faire feu au hasard ; mais, de proche en proche, nous apprenons que ce sont les Naplousiens qui crient de joie et tirent leurs armes parce que nous avons franchi le mauvais pas ; nous sentons en effet la route s’aplanir un peu sous nos pieds. Je remonte à cheval ; mon jeune étalon arabe, sentant l’eau dans le voisinage, se défend, et dans la lutte se précipite avec moi dans un ravin ; personne ne s’en aperçoit, tant la nuit est noire ; je ne lâche pas la bride, et, me remettant en selle, j’abandonne l’animal à son instinct, sans savoir si je suis sur une corniche ou dans le fond d’un ravin creusé dans la plaine ; il s’élance au galop en hennissant, et ne s’arrête qu’aux bords d’un ruisseau large, peu profond et entouré d’arbustes épineux ; il s’y abreuve. J’entends à ma gauche les cris et les coups de pistolet des Arabes qui viennent de s’apercevoir de ma disparition, et qui me cherchent dans la plaine ; je vois briller un feu à travers les feuilles des arbustes, je lance mon cheval de ce côté, et en peu de minutes je me trouve à la porte de ma tente, plantée au bord de ce même ruisseau ; il était minuit. Nous mangeâmes un morceau de pain trempé dans l’eau, et nous nous endormîmes