Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/9

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sans savoir où nous étions, et ne concevant pas par quel prodige nous étions passés tout à coup, de cette solitude sans ombre et sans eau, aux bords d’un ruisseau qui, à la lumière de nos torches et du foyer des Arabes, nous apparaissait comme un ruisseau des Alpes, avec son rideau de saules et ses touffes de jonc et de cresson.

Si le Tasse avait eu, comme le prétend M. de Chateaubriand, l’inspiration des lieux en écrivant la Jérusalem délivrée (et j’avoue que, tout admirateur que je suis du Tasse, ce n’est pas par là que je le louerais, car il est impossible d’avoir moins compris les sites et plus menti aux mœurs qu’il ne l’a fait ; mais qu’importent les sites et les mœurs ? la poésie n’est pas là, elle est dans le cœur) ; s’il avait eu cette inspiration, c’eût été sans doute au bord de ce ruisseau qu’il eût fait arriver Herminie fuyant sur son coursier abandonné à son essor, et qu’elle eût rencontré ce pasteur arcadien, et non arabe, dont il nous fait une si ravissante description.

Nous nous réveillâmes comme elle au gazouillement de mille oiseaux volant sur les branches des arbres, et au bruissement de l’eau sur son lit de cailloutages. Nous sortîmes des tentes pour reconnaître le site où la nuit nous avait jetés. Les montagnes de Judée, traversées la veille, nous restaient à l’orient à une lieue environ de notre camp ; leur chaîne, toujours stérile et dentelée, s’étendait à perte de vue au midi et au nord, et de loin en loin nous apercevions de vastes gorges qui débouchaient dans la plaine, et d’où les flots de vapeurs nocturnes sortaient comme de larges fleuves, et se répandaient en nappes de brouillards