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Il naquit, en effet, le 23 janvier 1872, rue Ravignan, en plein cœur du Montmartre ouvrier de l’époque, à deux pas de la place du Tertre et de l’emplacement du futur Sacré-Cœur. Son père était métreur-vérificateur, son grand-père, serrurier à Versailles, où il était venu s’installer de Falaise, le berceau de la famille, au début du xixe siècle.

C’est dans ce milieu d’artisans laborieux que s’écoula sa jeunesse. Il y apprit, dès l’enfance, avec le respect du travail manuel, le souci scrupuleux de l’œuvre impeccablement accomplie. Il y connut de près les joies et les peines du prolétariat parisien, et son tenace espoir en un avenir plus juste.

Le goût de la connaissance qu’avait su lui communiquer son père était compris, partagé et encouragé par une mère admirable. Par elle, d’autres influences encore parvenaient à l’enfant. Elle était l’arrière-petite-nièce du célèbre médecin Philippe Pinel[1] qui, à la fin du xviiie siècle, révolutionna le traitement des aliénés en y introduisant pour la première fois des procédés scientifiques et des méthodes humaines. Ainsi sa propre famille fournissait aux rêves de Paul Langevin adolescent un modèle du grand savant aux découvertes hardies et à l’âme généreuse qu’il devait être plus tard.

Le jeune homme commençait cependant une extraordinaire carrière scolaire. À la fin de ses études primaires, ses parents l’avaient mis au Collège Lavoisier où ses dons exceptionnels amenèrent ses maîtres à le présenter à l’École de Physique et Chimie industrielle qui venait d’être créée, rue Lhomond, six ans plus tôt. Il entra le premier, à 16 ans, en 1888, dans cette école qui devait jouer un si grand rôle dans son existence et où il devait revenir plus tard comme directeur. Il en sortit en 1891, toujours premier de sa promotion et fut reçu deux ans après, encore une fois premier, à l’École Normale Supérieure et cela sans avoir subi la dure préparation spécialisée à laquelle se soumettent habituellement les candidats au concours de la rue d’Ulm.

  1. Philippe Pinel (1745-1826) était né au château de Rascas, dans le Tarn. Avant sa courageuse campagne, les aliénés étaient assimilés aux criminels, enfermés dans des cachots ou dans des cellules de quelques maisons religieuses et complètement privés de soins hygiéniques et de traitement médical.