Page:Langlois - Histoire du moyen âge, 1901.djvu/496

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tisme, cette religion des clercs dévots et des clercs incrédules au XIIIe siècle. Il a été servi par la spécieuse clarté de son anthropomorphisme, par l’art de son exposition, et par la superficialité de ses analyses. Il a été servi par ses contradictions mêmes qui permettent aux opinions divergentes d’alléguer en leur faveur quelques passages de ses écrits. Sa manière cauteleuse devait mieux plaire à la cour de Rome qu’une philosophie trop libre, trop forte et trop personnelle. D’ailleurs il avait prêté l’appui de sa plume aux aspirations du Saint-Siège vers la suprématie absolue, en s’appuyant de bonne foi sur des textes dont Rome elle-même ne défend plus l’authenticité. Mais le but est atteint, l’autorité du saint reste acquise, et Rome a montré sa reconnaissance. La doctrine thomiste favorisait par ses conclusions pratiques la tendance du pouvoir spirituel, qui s’appuyait dès cette époque sur les ordres religieux, comme elle l’a fait constamment depuis. Le Livre des Sentences avait acquis l’autorité presque officielle d’un texte classique parce qu’il grandissait le prêtre. La morale de saint Thomas, héritier de cette autorité, glorifie le moine : les vertus théologales telles qu’il les conçoit, la vie contemplative, image de la béatitude éternelle et qui seule peut vraiment nous en rapprocher, ne sauraient se pratiquer que dans le cloître. Cette observation de Ritter est importante. Peut-être faudrait-il la généraliser [et dire] : « L’intellectualisme est conforme à l’esprit permanent d’une hiérarchie qui cherche à justifier sa domination en présentant l’unité et la pureté de la doctrine, qu’elle prétend garantir, comme l’intérêt religieux par excellence, auquel tout doit être sacrifié…. »

La suprême autorité de l’Église ayant recommandé l’étude et la profession du thomisme comme un remède aux maux dont ce grand corps est affligé, il convenait d’apprécier avant tout cette doctrine dans ses rapports avec l’esprit du christianisme. Quant à ceux qu’elle pourrait soutenir avec la science moderne, il sera permis d’être bref. Il n’y a pas d’entente possible entre la science et une école qui invoque la chose jugée et pense trancher une question quelconque par un appel à l’autorité.

CH. SECRÉTAN, La restauration du thomisme, dans la Revue philosophique, XVIII (1884). Passim.