Page:Langlois - Histoire du moyen âge, 1901.djvu/510

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littérature épique. Les Provençaux avaient eu sans doute, eux aussi, une épopée nationale, mais elle était tombée, chez eux, sauf de rares exceptions, dans un oubli rapide, et ce sont nos poèmes dont les troubadours se nourrissaient et auxquels ils font de fréquentes allusions. Ils en vinrent à les traduire, comme dans Ferabras, ou à les imiter, comme dans Jaufre. Au commencement du XIIIe siècle, un habile troubadour, qui donnait à ses compatriotes une sorte de grammaire poétique, revendiquait pour la langue d’oc la suprématie dans les chansons proprement dites, mais reconnaissait en même temps que la parlure de France valait mieux et était plus avenante pour composer des romans, c’est-à-dire des poèmes narratifs.

Aussi les autres nations romanes ont-elles en général subi l’influence des troubadours pour la poésie lyrique, des trouveurs pour la poésie épique. Les cancioneros composés aux XIIIe et XIVe siècles dans les cours brillantes de la Castille et du Portugal sont des imitations des cansons provençales ; mais nos chansons de geste ont suscité les cantares de gesta espagnols et, entre autres, le poème du Cid, de même que nos romans d’aventure ont été traduits ou imités dans les divers idiomes de la péninsule ibérique et ont fini par aboutir aux deux grands romans qui terminent le moyen âge, le Tiran le Blanc catalan et l’Amadis portugais, puis castillan. Il en fut de même en Italie. Dante, dans son opuscule sur le langage vulgaire, reconnaît que la langue d’oc a fourni le modèle de la poésie lyrique, tandis qu’à la langue d’oïl appartient toute la poésie narrative. Et ce qu’il dit est confirmé chaque jour d’une manière plus éclatante par les recherches modernes. Si les prédécesseurs de Pétrarque et de Dante, si ces poètes eux-mêmes sont des disciples des troubadours, toute l’épopée italienne descend de la nôtre, par voie de traduction ou d’imitation, et le Roland amoureux du Bojardo, père du Roland furieux, n’est autre chose que la fusion des deux grands courants de notre poésie épique, du cycle de Charlemagne et du cycle d’Arthur, de la matière de Bretagne et de la matière de France. Par un phénomène plus étrange encore, le français faillit, au XIIIe siècle, devenir la langue littéraire de l’Italie : pendant que le Pisan Rusticien, les Vénitiens Marc Pol